Portrait of Jacopo Boncompagni (1574).
Frick Collection, New York
Dans ce portrait, Scipione Pulzone surnommé Il Gaetano, atteint un réalisme inédit grâce, notamment, au rendu minutieux des détails. Il va jusqu'à supprimer toute trace de pinceau pour obtenir la surface la plus lisse possible, ajoutant ainsi au raffinement du portrait. L'armure éblouissante de Boncompagni affiche des techniques de gaufrage, de damasquinage, de bleuissement et de dorure. La représentation du haut-de-chausse (la culotte) de Pulzone - tissée avec des fils d'or et d'argent - de même que de la brachetta (la braguette rembourrée) montre un degré égal de précision. La lumière qui rebondit sur le plastron donne un effet tactile à la surface polie du métal. La représentation magistrale des jeux de lumière dans les moindres détails, comme à la lisière du rideau, renforce l'illusion de réalisme. En y regardant de plus près, on constate d'ailleurs que le modèle est représenté sur une toile fictive dont le bord est partiellement recouvert par le rideau bleu ! Avec ce dispositif pictural, Pulzone encourage le spectateur à comparer ses compétences à celles de l'ancien peintre Parrhasius, qui avait trompé son rival Zeuxis avec une peinture de rideau.
Quant au personnage représenté, il s'agit donc de Jacopo Boncompagni, fils naturel du pape Grégoire XIII, qui s'installa à Rome en 1572 lorsque son père fut élu pape et qu'il devint gouverneur du Castel Sant'Angelo et chef de l'armée papale. Pour ce nouveau venu dans la noble société romaine, ce portrait en armure était destiné à faire connaitre clairement son rang et à propager son apparence auprès de ceux qui ne le connaissaient pas. Bien que l'armure ait été déjà de moins en moins utilisée à cette époque sur les champs de bataille, elle continuait d'être considérée comme un symbole de virilité, de valeur militaire, de richesse, de statut social et, surtout, de lignage antique. Cette représentation reflète donc, avant tout, le rang important du modèle. La figure de Saint-Michel gravé sur le pectoral de l 'armure n'est pas uniquement une référence au Castel Sant'Angelo mais aussi au rôle de Boncompagni lui-même en tant que protecteur de l'Eglise. Ses compétences militaires sont représentées avec le dieu Mars sur le casque et avec le gant en acier placé sur la table. Sur les bandeaux dorés qui retiennent le plastron et les protections des épaules et des bras, sont représentés plusieurs trophées attestant des prouesses militaires du modèle. Dans le même esprit de démonstration des prouesses militaires de Boncompagni, on aperçoit le long de la bande centrale du plastron et à la base du casque, des représentations de Turcs captifs, commémorant la récente victoire sur les Ottomans à la bataille de Lépante en 1571. En supplément de ces motifs martiaux, cette prodigieuse armure sculptée comporte aussi des symboles attestant de la richesse, de la prospérité et du statut éminent du personnage, comme des cornes d'abondance et des figures grotesques portant des jarres de fruits.
Un mot enfin de la braghetta, qui elle aussi devait indiquer clairement au spectateur de la Renaissance, la puissance du personnage. Cette proéminence marquée valorisait le membre viril et par là même la puissance de son possesseur. Jusque dans les années 1580, les braguettes furent de plus en plus volumineuses chez les aristocrates, les princes et les rois, alors que chez les hommes du peuple elles étaient nettement moins voyantes voir inexistantes. Comme le rappelle Colette Gouvion dans son ouvrage "Une histoire politique du Pantalon " (Seuil, 2010) : « Qu'il s 'agisse de Charles Quint, peint par Le Titien, de François Ier par les Clouet ou de Maximilien II par Antonio Moro… On rembourre la fameuse poche. On l’assortit au pourpoint. On l’orne de rubans, dorures, joyaux. Et on y loge, aux côtés de ses attributs, mouchoir, monnaie, et même fruits que l’on y fait mûrir pour les offrir, bien tièdes à des dames !». Bon appétit !