Angelica Kauffman (1741- 1807)
Portrait du Chevalier d'Eon (1728- 1810)
Huile sur toile 64 x 52, 4 cm réalisé en 1775
Collection privée
Avec ce portrait daté de 1775, on est très loin de l’aspect grosse veille dame un peu acariâtre coiffée d’un imposante charlotte de dentelle blanche tuyautée, sous lequel on représente habituellement Charles-Geneviève-Louis-Auguste-André-Timothée d’Éon de Beaumont… dit le chevalier d’Éon, espion travesti féminin, préféré de Louis XV et titulaire de la plus haute récompense royale de son temps, la Croix de Saint Louis qu'il gagna sur les champs de bataille de la Guerre de Sept ans, où âgé de 38 ans, il se battit sous l'uniforme de Capitaine de Dragons, le corps d'élite de don époque.
En fait, ce portrait , n'offre aucune ressemblance avec les représentations habituelles du chevalier travesti (dont la plupart sont conservées au British museum) et dans lesquels, jeune, le chevalier arbore une poitrine des plus avenantes, largement décolletée qui plus est, dans un costume qui ne ressemble pas du tout, mais alors pas du tout au costume pudique (deux voiles croisés revolver sa poitrine) et oriental dans lequel nous le voyons ici travesti.
Le délicieux turban en tissu bayadère et en voile transparent agrémenté d'une aigrette rouge sang et de plumes blanches retenues par un bijou précieux et un rang de grosses perles, n'a rien de commun avec les charlottes tuyautées du British Museum. De même la robe, toute de soie, ornée de passementeries délicates aux emmanchures au dessus des coudes.
Et puis surtout le visage. Plutot carré ici, alors qu'il est exagérément ovale partout ailleurs, aux lèvres parfaitement dessinées ici alors qu'elle semblent très pincées ailleurs. On note aussi ici l'absence de pomme d'Adam, qui n'enleve rien au trouble identitaire beaucoup plus perceptible dans cette oeuvre que dans toutes les autres aujourd'hui conservée où le chevalier apparait toujours comme une créature aux traits féminins caricaturaux ou grotesques, l'age venant.
Ici nous sommes dans une autre dimension. Celle du trouble galant, de l'orientalisme, de la duplicité des sentiments beaucoup plus proches de l'univers des Liaisons Dangeureuses que de celui de la gaudriole, de la farce de cabaret ou de la mamie drag queen !
Ce portrait apparait donc aussi énigmatique que le fut le personnage.... dont il est avéré aujourd'hui qu'il était bien un homme (la gravure du Bristish Museum faite sur son lit de mort ne laisse aucun doute sur le sujet !(cf. ci dessous )
British Museum,
Le qui fait que le portrait ci dessus ne ressemble à aucun autre du chevalier, tient sans doute à l'époque ou il a été peint : 1775 ! Année charnière pour le royaume de France: celle où le roi Louis XVI succède au roi Louis XV et année charnière pour le Chevalier d'Eon, âgé de 47 ans, dont le statut passa d'espion favori du secret de Louis XV, à celui, sous le nouveau roi Louis XVI, d'embarrassante relique d'une époque de galanterie, de légèreté et de charme diplomatique dispendieux dont on ne veut surtout plus entendre parler.
Au cours de l'année 1774, Louis XV avait sommé le chevalier d'indiquer une fois pour toutes son sexe véritable. Ce dernier refusant de se dévêtir et après s'être fait quelque peu palper sous le jupon par une cohorte de médecins anglais goguenards et complaisants, répondit par une déclaration solennelle dans laquelle il affirma être une femme, certificat médicaux de complaisance a l'appui.
Puis Louis XV mourut.
Et quel fut un de ses premiers actes de Louis XVI Arrivant au pouvoir ? Envoyer fessa à Londres le dramaturge mais aussi espion et membre du secret, Beaumarchais, auprès de son collègue le chevalier d'Eon avec pour mission de récupérer dard dard tous les documents, lettres, plans, libellés, en sa possession. Cela ne se fit pas du jour au lendemain et il fallut quatorze mois de négociations, avant la remise de l’intégralité des documents sensibles. Condition de cette rédition : le chevalier – que la France considérait désormais officiellement comme une femme puisque c'est lui même qui l'avait prouvée, – ne quitte plus jamais ses vêtements féminins et se fasse désormais appeler Mlle Éon, en échange de quoi une rente viagère lui serait accordée. Ce qui fut fait jusqu'à ce que la Révolution y mette un terme.
C'est tout de suite après cette accord historique là, que ce fabuleux et légendaire portrait de Mlle Eon âgé de 48 ans fut peint par Angelica Kauffman alors au fait de sa gloire ! Il faut dire qu'enfant prodige, elle avait commencé a peindre tout ce que le monde et le demi monde comptait d'important dès l'âge de 13 ans !!! A ce portrait d'une grande charge sensuel, on préfère ce pendant toujours celui de la grosse dame à la charlotte tuyauté. Sans doute est ce par ce qu'il est trop beau et trop gênant surtout pour être vrai. Mais son authenticité cependant n'est pas été remise en cause lors de son passage récent en vente publique, pour rejoindre une collection privée quelques part aux Etats Unis d'Amérique. Ce portrait a binen été peint par Angelica Kauffman en 1775 alors qu'elle vivait à Londres où elle fut un des membres fondateurs de la Royal Academy. Elle fut sans doute présenté à Mlle Eon, nouvellement déchue de ses titres de noblesse français, par le roi Georges III lui même dont elle peignit le portrait de la mère,la princesse Augusta Charlotte de Hanovre.
Que le meilleur espion de Louis XV ait été un travesti, n’est plus un secret pour personne.
Le fait qu’il ait finisse sa vie pauvre et misérable dans la patrie de James Bond ne doit pas étonner outre mesure quand on connait la légendaire reconnaissance de la France envers ses serviteurs de l'ombre. Enterré dans le cimetière de nécessiteux de Saint Pancras à Londres, le Chevalier d'Eon a donc raté de peu l'occasion de se retrouver sous le terminus de l’Eurostar, si les restes osseux ides cadavres n' avaient été déplacé pudiquement par l'administration de sa Majesté, avant que les travaux de la gare de commencent. Croupissant aujourd'hui dans un ossuaire anonyme, Le chevalier d'Eon, grand croix de Saint Louis, capitaine des dragons et prince des drag queen, ne risque pas d'attirer les foules bien que les anglais aient toujours eu un faible pour cette drôle de James bond girl que le roi Georges III adorait littéralement.
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Un blog de Francis Rousseau