Lucas de Heere (1534-1584)
Triple profile portrait, 1570.
Milwaukee Art Museum. Wisconsin
Contrairement aux apparences, il s'agit bien d'un triple portrait d'hommes.
En effet, habillés et coiffés de façon très élaborée, ces trois figures extrêmement féminines seraient - selon le musée qui les conserve aujourd'hui celles des célèbres mignons - les favoris masculins - du roi de France Henri III (1551-1589). Sans qu'il soit possible de les identifier formellement, certains ont voulu toutefois y reconnaitre Louis de Clermont d'Amboise dit Bussy d'Amboise ; Jacques de Lévis Comte de Caylus ; Henri de Saint Sulpice, ou bien Jacques de Maugiron...
Suivant le modèle du roi qui tient à faire de l 'élégance une des vertus premières de la Cour de France (une première !), ces courtisans se fardent, se poudrent, se frisent les cheveux et y posent perles, faveurs et rubans. Ils portent des boucles d’oreille, de la dentelle et des fraises empesées très élaborées autour du cou (exactement comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus)
Ces courtisans font l’objet de railleries. C’est qu’à l’époque, on tolère encore mal, dans une cour qui a toujours promu la virilité brute et considéré le raffinement comme une faiblesse, le penchant d'Henri III et de son entourage pour la culture de la fête et le goût pour l’apparence (ce qui ne les empêche nullement d'être de rudes chefs de guerre et de se couvrir de gloire sur les champs de bataille).
Dans ses Discours sur les colonels de l'infanterie de France, Brantôme rapporte ainsi que des gens de guerre affichent leur morgue envers certains courtisans, qu'ils qualifient de « petitz mignons molz, efféminez » :
"Ah ! disoient-ilz, ce sont des mignons de court, des mignons de couchette, des pimpans, des douilletz, des frizez, des fardez, des beaux visages. Que sçauroient-ils faire ? ce n'est pas leur mestier que d'aller à la guerre : ilz sont trop délicatz, ilz craignent trop les coups."
Toutefois, Brantôme désavoue vertement ces propos, qu'il assimile à des médisances.
Le chroniqueur soutient que plusieurs mignons, « honnestes et vaillans jeunes hommes » comme Bussy, Maugiron, Caylus ou Entraguet ont démontré leur valeur « à ces vieux capitaines qui causoient tant. » Brantôme ajoute que les courtisans précités, protagonistes de « tant de beaux combatz et duelz qui se sont faictz despuis vingt ans en nos courtz », ont été « les premiers aux assautz, aux battailles et aux escarmouches.»
Du côté du roi, la promotion de ses favoris correspond a une stratégie tres réfléchie. Le roi promeut en effet intentionnellement à la cour des hommes de petite noblesse, à qui il confie d’importantes responsabilités avec le désir de s’appuyer sur des hommes neufs pour gouverner. C'est pourquoi sa cour voit apparaître un cercle restreint de favoris qui connaissent, grâce à leur protecteur, une fortune fulgurante. Ce système vole en éclats lors du duel des Mignons en avril 1578.
Le style du tableau est profondément enraciné dans l'art et l'ornementation de la résidence royale de Fontainebleau, où Henry est né. L'ancêtre d'Henry III, le roi François Ier, avait considérablement agrandi le château de Fontaiblebeau et l'avait décoré dans un style maniériste exacerbé, très sophistiqué mais très vivant, dont ce portrait énigmatique à triple profil porte largement l'influence.
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