Isaak Ilyich Levitan(1860-1900)
Portrait d'Anton Tchekhov (1860-1904) en 1886
huile sur toile 31 x42cm
Tretyakov Gallery
huile sur toile 31 x42cm
Tretyakov Gallery
Voir aussi le podcast Youtube "Les Tableaux qui parlent "
Pour beaucoup, la question se pose encore aujourd'hui de la nature exacte de la relation qui lia le grand écrivain russe Anton Tchekhov et le nom moins grand peintre paysagiste Isaac Levitan.
Le célèbre peintre russe d'origine juive Isaac Levitan (1860-1900) fit la connaissance d'Anton Tchekhov en 1880 pendant ses études par l'intermédiaire du frère aîné d'Anton, Nikolaï, alors qu'ils fréquentaient tous deux l’École Imperiale de peinture, de sculpture et d'architecture de Moscou.
Tres rapidement, Isaac Levitan, Nikolaï et Anton Tchekhov devinrent amis, mais un lien particulier se tissa entre Isaac et Anton qui n'existait pas entre Nicolaï et Isaac.
Ce lien ne cessa de se developper pour trouver son apogée 10 années plus tard en 1890 lorsque ton et Isaac formèrent le projet, de voyager en Sibérie et jusqu'à Sakhaline, autrement dit de traverser toute la Russie ensemble.
A cette époque, Isaac Levitan commençait à être un peintre peintre paysagiste reconnu dans tout l'empire et sa réputation ne cessait de croitre à l'étranger. Ce long et périlleux voyage à travers la Russie, fourni à Lévitan l'opportunité de quelques unes de ses plus inoubliables toiles que l'on peut consulter en lien complémentaire a ce podcast. Pour Anton Tchekhov en compagnie de son ami, donne lieu aux très belles pages que l'on retrouve dans sa nouvelle " La Steppe " dont il dira qu'elle lui a demandé tant d'énergie a écrire qu'il n'a pas pu se consacrer à autre chose. En réalité c'est le voyages des deux amis à la santé fragile qui est lui même très éprouvant et pour l'un et pour l'autre, avec un point d'orgue terrifiant au bagne de Sakhaline où sont détenus les prisonnier de l'Empire, que Tchekhov va décrire comme "un véritable enfer " dans l "'Ile de Sakhaline" parue en feuilletons dans la revue "La Pensée Russe" entre 1893 et 1894.
Ce voyage éprouvant terminé par une boucle exotique passant à Ceylan, les deux amis deviennent presque inséparables.
Isaac Levitan prend l'habitude à l'invitation d'Anton, de passer presque tous les étés, entiers, en sa compagnie à Melikhovo et s'inspira des lieux pour plusieurs de ses tableaux aujourd'hui célèbres.
Visiblement Anton observe attentivement Isaac et lors de son premier séjour en France en 1891, Tchekhov, il écrit à son frère avec son ton ironique habituel :
« Les peintres russes sont beaucoup plus sérieux que les Français. En comparaison des laborieux peintres de paysages, que j'ai vus hier, Levitan est un roi. »
C'est alors qu'une femme intervint dans la relation des deux amis. Il s'agissait de la belle Lika Mizinova, dont Isaac Levitan était tombé fou amoureux... Lika était une amie de la soeur d'Anton et, amoureuse de Tchekov comme à peu près toutes les femmes qui lui étaient présentés, elle n'en était guère payée de retour... comme à peu près toutes les femmes qui lui étaient présentés!
Lika ourdit une stratégie assez banale qui consista à se servir d'Isaac pour rendre Anton jaloux, en faisant mine de tomber amoureuse de Levitan déclenchant la première brouille sérieuse entre les deux amis. En effet lorsque Tchekhov écrivit en 1892 son récit " La Cigale", Levitan, qui s'était entre temps d'avoir été grugé comme dans un mauvais vaudeville, crut se reconnaître, tourné en ridicule à travers l'un des personnages. Il s'en ouvrit à Anton qui au lieu de démentir, éclata de rire tant il trouvait l'idée paranoïaque et grotesque.
Ce rire sans autre explication, fit l'effet d'un poignard planté dans le coeur de Lévitan et les deux amis décidèrent de ne plus se voir.
La brouille ne tint pas longtemps, la belle Lika finit par sortir de la vie de ses deux hommes aussi impossible à vivre l'un que l'autre, d'autant plus que cette affaire du ménage à 3 qui n'en fut jamais un, avait délenché chez Lévitan une grave dépression nerveuse, le rendant doublement invivable aux yeux de la belle éconduite.
Trois années plus tard en 1895, la dépression durait encore et faillit trouver un point final dans une tentative de suicide de Lévitan, ratée de justesse.
C'est alors qu'Anton Tchekhov réapparu et alla rendre visite à Levitan, qui l'accueillit à bras ouverts en l'invitant à passer tout l'été en sa compagnie, comme autrefois.
A l'automne, Techkhov, une fois parti, Levitan lui écrira :
« Les quelques jours, que tu as passé ici, furent les beaux et les plus calmes de cet été ».
Toujours protégé par le bienveillant Pavel Tretiakov, Levitan peint alors quelques uns de ses plus étranges toiles.
Six ans plus tard en 1900, Levitan qui a toute sa vie durant souffert de graves problèmes cardiaques, décède dans son atelier moscovite. Il a 40 ans. Serrée dans sa main, on retrouve une lettre que vient de lui écrire Anton Tchekhov.
Quatre années plus tard en 1904, Anton Techov lui-même qui était tuberculeux depuis l'âge de 20 ans, décède à l'âge de 44 ans d'une crise de Phtisie.
A 4 ans d'écart à peine, ses deux génies russes se suivirent donc dans la mort.
Comme le rappelle Sophie Lafitte dans son bel article " Deux amis : Tchekhov et Levitan," Tchekhov n'aimait pas les hommes ni les femmes d'ailleurs. Ses semblables étaient pour lui avant tout une catégorie esthétique. Il l'écrit clairement dans Oncle Vania à l'acte II où il fait dire par son porte parole, le Docteur Astrov :
"Je n'aime pas les hommes. Il y a longtemps que je j'aime plus personne ; Les paysans se ressemblent tous, sont arriérés et vivent dans la saleté ; quand aux intellectuels, il est difficile de s'entendre avec eux. Ils sont fatigants. Tous nos bons amis sont mesquins de pensées, de sentiments, ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, sont tout simplement bêtes. Et ceux qui sont plus intelligents, ceux là, geignent, sont haineux, maladivement médisants. "
Voilà qui est sans concession comme Tchekov lui-même qui ne céda jamais à rien... même à l'amour.
Aucune femme vraiment dans sa vie et aucun homme non plus, si ce n'est Isaac Levitan et cette amour-amitié indescriptible qui n'eut sans doute rien de sexuel mais qui, malgré tout, les tint unit jusqu'à la mort.
Un tel lien ne se tisse jamais sans raison.
rétrospectivement on peut même considérer que Levitan fut sans doute la plus belle histoire humaine de Tchekov et l'inverse est aussi sûrement vrai.
C'est ce que raconte aussi peut être cet émouvant portrait d'un Tchekov âgé de 26 ans, sombre et songeur, par Levitan, loin du bruit des salons et de la fureur de la célébrité, un portrait comme griffonné à la hâte bien que peint à l'huile et avec une évidente fébrilité.
L'amitié entre Tchekhov et Levitan, ne sera jamais plus belle que tant qu'elle saura garder son mystère et qu'elle saura être ce qu'elle a tellement été : Une amitié pour la vie. L'amitié d'une vie. Un évènemnt rare.
©Francis Rousseau